L'Université Nationale de Bogotá, la Nacho, réserve toujours des surprises au flâneur qui erre sur son campus. Quand l'air n'est pas vicié par les gaz lacrymogènes des ESMAD (police anti-émeute) et qu'il ne résonne pas des explosions des papas (grenades artisanales confectionnées par les étudiants en chimie), cet ensemble universitaire tranquille et verdoyant est un lieu de promenade agréable.
![]() |
Bogotá, mars 2005. Distribution de tracts par des étudiants masqués à l'Université Nationale. Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
Au centre, la place du Che, ainsi baptisée par les étudiants, voit un immense portrait du célèbre révolutionnaire argentin s'étaler sur la façade d'un amphithéâtre.
![]() |
Bogotá, mars 2005. Paix, Amour... et cocktail Molotov. Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
Après un dur conflit et de nombreux affrontements entre la police et les militants des organisations d'extrême-gauche, la situation a fini par revenir au point de départ, si ce n'est que le nouveau portrait d'Ernesto Che Guevara fait désormais face à celui de Camilo Torres, le prêtre sociologue, ancien aumônier de l'Université Nationale, ayant abandonné sa soutane dans les années 60 pour rejoindre les rangs de l'ELN, une guérilla d'inspiration castriste où il trouva la mort lors de son premier combat, quelques mois plus tard, et dont il demeure la principale figure.
Autant dire que les esprits chagrins ayant lancé la polémique ont du en avaler leur plume (ou leur ordinateur portable) de dépit...
Autant dire que les esprits chagrins ayant lancé la polémique ont du en avaler leur plume (ou leur ordinateur portable) de dépit...
![]() |
Bogotá, mars 2005. Etudiants devant un portrait de Camilo Torres sur la Place du Che, à l'Université Nationale. Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
![]() |
Bogotá, mars 2005. Joueur de softball à l'Université Nationale. Photo : D. Fellous/Librearbitre |
Sous le regard de ces deux icônes révolutionnaires, les étudiants trainent ou s'activent. On discute entre amis, on débat entre camarades ou contradicteurs, on joue au softball, on improvise un concert, on distribue des tracts, on répète une pièce de théâtre, on pratique la Capoeira ou le Taï-chi, et parfois même on organise un repas communautaire autour d'une immense marmite chauffé à un feu de bois allumé à même la place...
De l'esplanade partent d'innombrables allées, desservant les différents bâtiments : médecine, droit, économie, sciences humaines, sociologie, mathématiques, littérature, sciences et techniques,... Des petits parcs et des placettes invitent partout à s'asseoir pour boire un café en regardant l'activité étudiante. Dans le dénommé "Jardin de Darwin", l'air se parfume de l'odeur douceâtre de la Marijuana, et il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer les nombreux groupes d'étudiants assis en cercle dans l'herbe et savourant un petit joint entre deux cours ou effectuant quelque négoce illicite à la sauvette.
Plus loin, certains inventent des petits métiers moins réprouvés par la justice et la morale pour financer leurs études. Comme partout en Colombie, on vend des minutes de téléphone, des cigarettes à l'unité, du café en thermos, des sandwichs ou même des plats préparés que les étudiants commandent à leurs camarades pour le lendemain. Des étals s'alignent le long des allées proposant de l'artisanat, des bracelets, des DVD de films et de programmes informatiques piratés, des livres d'occasion...
![]() |
Bogotá, mars 2005. Graffiti à l'Université Nationale. "Ne collectionnes pas les livres, lis-les". Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
Les murs aussi offrent leur lot de lecture, théâtres du combat quotidien entre des graffiteurs à l'imagination féconde et une administration qui semble préférer la peinture unie aux fresques et slogans politiques.
![]() |
Bogotá, mars 2005. Graffiti à l'Université Nationale. "Recherché. Si tu le vois, suis son exemple". Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
On en appelle à tous les héros du peuple, et l'étranger peu au fait de l'histoire du conflit colombien pourrait croire lire une blague qui n'existe pas dans le graffiti qui suit. Bateman n'est pas le vengeur masqué déguisé en chauve-souris qui hanta les pages des comics avant de s'envoler vers de plus lucratives aventures à Hollywood. Il s'agit en fait de Jaime Bateman Cayon, fondateur en 1974 du M19, un des nombreux mouvements de guérilla colombien, et son dirigeant jusqu'à sa mort en 1983 dans un accident d'avion.
Les mots d'ordre sont parfois empreints d'un pragmatisme (et d'un second degré) dont devraient s'inspirer les groupuscules d'extrême-gauche français.
![]() |
Bogotá, mars 2005. Graffiti du Movimiento Porque Te Quiero Te Amo (Mouvement Parce Que Je T'aime Je T'aime). "Pour l'unité : revendiquons les orgies". Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
Au détour d'un petit bois, on arrive dans une zone laissée à l'abandon, l'herbe devient haute, de vieux bâtiments tombent en ruine, il y a un petit lac, où plutôt un grande mare, avec une vieille barque, et même si parcourir la Nacho donne toujours cette impression de sortir de Bogotá, on se croirait plus loin de la ville encore.
![]() |
Bogotá, mars 2005. Andres, étudiant à l'Université Nationale. Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
Et là, près de l'Ecole Vétérinaire, paissent quelques chevaux et une demi-douzaine de vaches. Mais pas n'importe quelles vaches, des vaches à hublot ! Par cette ouverture, les étudiants-chercheurs peuvent accéder aux estomacs (au nombre de quatre comme chacun sait) de la vache et récupérer leur contenu a des fins d'analyse. Surprenant et impressionnant !
![]() |
Bogotá, mars 2005. Une vache "percée" sur le campus de l'Université Nationale. Photo : D. Fellous/Libre arbitre |