jeudi 15 octobre 2009

Nager dans un volcan

Si vous avez arpenté la vieille ville de fond en comble, que les souterrains du Castillo de San Felipe de Barajas n'ont plus de secrets pour vous, que vous avez épuisé les charmes de Playa Blanca et de l'archipel du Rosario, et que vous avez même été jusqu'à grimper au Couvent de la Popa pour admirer le paysage en compagnie de la Vierge de la Candelaria, vous pensez peut-être en avoir fini avec les passages obligés d'un premier séjour à Cartagena ?

Santa Catalina, le 20 avril 2009. "El Totumo", le volcan de boue près de Carthagène. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Et bien pas du tout, et pour régénérer votre corps fatigué par toutes ces excursions, votre peau sérieusement brûlée par le soleil impitoyable des caraïbes et votre foie rudement mis à l'épreuve par la consommation immodérée de riz coco (et peut-être aussi un peu par les quelques rhums avalés entre deux salsas au Quiebra y Canto), nous vous invitons aujourd'hui à une séance de fangothérapie, c'est à) dire, pour parler un français plus accessible, à vous vautrer dans la boue comme des porcs. Mais attention, pas n'importe quelle boue, celle d'un volcan !

Santa Catalina, le 20 avril 2009. Dans le volcan de boue El Totumo, près de Carthagène. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

D'un volcan de boue plus exactement, une formation géologique plutôt rare, également appelée salse, et qui provient d'émanations d'hydrocarbures liquides et de gaz carbonique, formant une petite colline d'argile couronnée d'un cratère de boue tiède et épaisse. Enfoncés, les spas et autres centres de thalassothérapie qui vous proposent à prix d'or des séances dans une baignoire, ou au mieux une piscine, remplie de boues marines filtrées et soit-disant enrichies en oligo-éléments. Ici vous vous immergerez directement dans la cheminée du volcan, avec plusieurs centaines de mètres de profondeur de boue sous les pieds...

Santa Catalina, le 20 avril 2009. Dans le volcan de boue El Totumo, près de Carthagène. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Situé à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Cartagena, entre les villages de Piojó et de San Catalina, le volcan de boue El Totumo surplombe le lagon de Galerazamba. Haut d'une petite vingtaine de mètres, un escalier de 53 marches de bois mène au sommet de ce monticule de boue séchée et donne accès au cratère, dans lequel surnagent des touristes à la recherche de sensations originales, ou peut-être confiant dans les vertus thérapeutiques annoncées de la séance. Car la boue du Totumo est très riche en minéraux comme l'aluminium, le magnesium ou le fer (vous pouvez voir sa composition chimique  complète sur la page de Wikipedia consacrée au volcan) et elle est supposée avoir des propriétés curatives dans plusieurs domaines comme l'arthrose, les rhumatismes, les ulcères, les maladies dermatologiques et les carences en oligo-éléments. Des cures sont également préconisées en traitement complémentaire dans des cas d'affections neurologiques (hémiplégie ou paraplégie), comme dans le cas de  ce vénézuelien paralysé des membres inférieurs et amené par sa famille pour profiter d'un moment de détente et d'oubli du handicap.

Santa Catalina, le 20 avril 2009. Un vénézuelien paralysé des membres inférieurs est sorti par ses proches du cratère d'El Totumo,
le volcan de boue près de Carthagène. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Car au delà du soin éventuel, le bain est rafraichissant et l'expérience, comme suspendu en apesanteur dans un cocon épais, est plutôt étrange mais agréable. La densité de la boue empêchant de s'y enfoncer quelque effort que l'on fasse, il n'est nulle noyade à craindre, et l'on peut paresser en faisant la planche dans la fange, siroter une bière en jouant au morpion, ou même, pour les plus téméraires (et pour quelques milliers de pesos), se faire vigoureusement malaxer les vertèbres par un des masseurs qui barbotent toute la journée dans le volcan.

Santa Catalina, le 20 avril 2009. Partie de morpion dans le volcan de boue El Totumo près de Carthagène.
Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Une fois sorti, on est transformé en golem, et il faut faire un petit détour par le lagon pour retrouver une apparence humaine, avant de s'arrêter pour un almuerzo (déjeuner) et un café dans l'une des baraques en bois du hameau,  afin de se  remettre de tous ces efforts, de contribuer un peu à la précaire économie locale, et surtout de se faire raconter la légende locale, qui veut que le volcan ait autrefois craché de la lave et non de la boue, jusqu'à l'intervention d'un moine ayant éteint ce feu diabolique avec son flacon d'eau bénite. Amen. Puis il sera temps de retourner à Cartagena sous peine d'être à la merci des tarifs abusifs du cartel des motos-taxis, les derniers bus repartant vers 15h.

Santa Catalina, le 20 avril 2009. Après un bain dans le volcan de boue El Totumo, près de Carthagène.
Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Enfin retourner à Cartagena... ou à Barranquilla. Car, pour la petite histoire, deux départements se disputent le potentiel touristique du volcan. Si il est géographiquement situé dans le Bolivar, face à la Cienaga de Totumo, la plus grande partie de cette dernière appartient à l'Atlantico, qui vient d'annoncer la construction d'une route la reliant à Barranquilla, la capitale régionale, et qui desservira également le volcan. Simultanément, on l'a inclus dans les guides de la ville, et on a escamoté le panneau de sortie de l'Atlantico à la frontière entre les deux départements. Il n'en fallait pas plus pour mettre le feu aux poudres, et pour bien réaffirmer ses droits sur le site, le gouverneur du Bolivar et tout son cabinet sont immédiatement grimpé sur le tas de boue y planter l'étendard du département et lire un communiqué s'indignant des manœuvres du voisin. Lequel a répondu aussitôt par la voix d'un de ses sénateurs que le panneau avait été simplement emporté par une rafale de vent et que le gouverneur du Bolivar ferait mieux d'essayer de se maintenir à son poste, lequel serait aussi fragile que la pancarte, plutôt que de s'inventer des conflits imaginaires.

Santa Catalina, le 20 avril 2009. Dans le volcan de boue El Totumo, près de Carthagène. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Le maire de la commune, lui, s'est félicité de l'intérêt soudain manifesté par les responsables politiques pour le volcan et il a tenu à réconcilier tout le monde : 
"Espérons qu'à cette occasion se concrétisent les projets de développement annoncés pour Santa Catalina et sa région, qui a bien besoin de l'action gouvernementale, et dont le potentiel touristique a été sous-estimé, tant par le Bolivar que par l'Atlantico."

dimanche 11 octobre 2009

Des arbres contre la mine d'or


Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre


Les étudiants de l'université d'Ibague, dans le Tolima, ont eu une idée originale pour manifester leur opposition au projet de mine d'or de la Colosa, sur une concession attribuée à la AngloGold Ashanti.  


Ibague, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre
 Partis le matin de la capitale régionale dans une demi-douzaine d'autocars loués pour l'occasion, un peu plus de deux cent étudiants et militants écologistes d'Ibague rallient la petite ville de Cajamarca, située près de la zone aurifère, et où la compagnie sud-africaine a établi un bureau chargé de superviser le projet d'exploitation. D'après le gouvernement colombien et la communication de l'entreprise elle-même, il s'agirait d'un des plus importants gisements au monde.  Autant dire qu'il y a là des enjeux financiers considérables. Derrière les bus  ornés de banderoles représentant montagnes, fleuves et animaux, suivent deux camions chargés à bloc de petits baliveaux destinés à être plantés sur le terrain de la future mine. 

Le projet peut paraître dérisoire, voire utopique. Des arbres contre la mine. Imaginer protéger des grenouilles contre la logique économique mondiale avec de fragiles brindilles.  Une lutte perdue d'avance digne d'une production Walt Disney, le happy end en moins. Mais le geste est symbolique. Semer la vie là-même où l'on prévoit de violer la terre et de la rendre infertile à jamais. Une reforestation préventive en quelque sorte...


Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Arrivés aux abords de Cajamarca, les étudiants descendent des bus et déploient leurs banderoles, en se réjouissant de ce que la pluie qui tombait depuis le matin se soit arrêtée avec tant d'à-propos pour une belle entrée en cortège dans la ville. La bourgade, d'un peu moins de 10.000 habitants, avait eu les honneurs de la presse nationale en 2004, quand des soldats y avaient massacré une famille de cinq personnes, parmi lesquelles un bébé de six mois, qu'ils auraient soit-disant confondu avec des guérilleros des FARC. Épargnés par la justice militaire, sept militaires avaient néanmoins été inculpés l'année suivante par le Procureur général de la Nation des charges d'homicide sur personnes protégées, des preuves ayant été rassemblées que les victimes avaient été abattues à courte distance.

Cajamarca, le 11 octobre 2009. "Seulement après que... le dernier arbre soit coupé, le dernier fleuve empoisonné,
le dernier poisson attrapé, alors seulement tu sauras que l'argent ne peut pas se manger. Proverbe indien."
Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Devant le pont qui sert d'accès à Cajamarca, les manifestants sont rejoints par un petit groupe de militants locaux de la CUT (Centrale Unitaire des Travailleurs, le principal syndicat interprofessionnel colombien) et d'ANTHOC (syndicat des fonctionnaires de la Santé et de la Sécurité Sociale). Si leurs slogans sur la dégradation des hôpitaux publics paraissent un peu éloignés du thème du jour, cette convergence des luttes est tout de même jugée bienvenue par les défenseurs de l'environnement qui veulent y voir un bon augure et ce renfort inattendu est accueilli avec force applaudissements. 

Cajamarca, le 11 octobre 2009. "Plus de promenades de la mort. Défendons les hôpitaux publics".
Photo : D. Fellous/Libre arbitre

À la sortie du pont, l'accueil est plutôt froid. Il faut dire que le premier bâtiment de la ville est un bunker, peint couleur camouflage, suivi de la base militaire de Cajamarca, dans le même habit.  Et des deux côtés de la rue, le personnel de ladite base s'est déployé, armes à la main, formant une haie d'honneur entre lesquels défilent les manifestants, qui ont cessé les slogans et dont les visages se sont subitement fermés. Ambiance. 

Cajamarca, le 11 octobre 2009. "Plus de promenades de la mort. Défendons les hôpitaux publics".
Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Une fois tout le monde passé, coup de jarnac, la police installe un barrage sur le pont et bloque les camions de l'autre côté de la rivière. Sans arbres à planter, il ne reste plus aux étudiants qu'à manifester à travers la ville et à improviser des discussions avec la population locale, peu informée des tenants et des aboutissants du projet, pour tenter de la rallier à leur cause. 

Cajamarca, le 11 octobre 2009. ESMAD (police anti-émeute). Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Au bout de quelques heures, alors que l'abattement menace de vaincre le bel enthousiasme qui a animé la matinée, un des deux chauffeurs, par une habile manœuvre, réussit à contourner le dispositif policier et à rejoindre les manifestants. 

Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

L'explosion de joie qui accompagne l'arrivée du camion plein de jeunes plants est cependant modérée du fait que le retard pris sur le planning rend hasardeuse la poursuite de l'opération prévue initialement. L'heure avance, et il y a la question du retour à Ibague avec les bus loués et les chauffeurs qui attendent. 

Cajamarca, le 11 octobre 2009. Des ESMAD (police anti-émeute) en pause déjeuner.Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Et puis, même si personne n'évoque directement le problème en ces termes, il y a pas mal de policiers et d'ESMAD (police anti-émeute, célèbre pour sa brutalité) dans la ville, et même si ils ont l'air plutôt détendus pour le moment, il parait peu probable qu'ils laissent le groupe entrer en effraction sur la concession sans réagir. 

Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

l'AngloGold Ashanti où une partie des arbustes sont repiqués dans un joyeux désordre. 

Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Cajamarca, le 11 octobre 2009.
Photo : D. Fellous/Libre arbitre
On voit bien que certains étudiants ici ont plus l'habitude de planter des théories que des  végétaux, mais la bonne volonté suppléant à l'expérience, le terrain se trouve quand même rapidement foré de centaines de petits trous dans lesquels sont déposés différentes espèces d'arbrisseaux. Enfin, pelles et binettes sont rangées dans le camion, et un rassemblement sur la place principale de Cajamarca vient clôturer la journée.

Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Quelques brefs discours et un mini concert de rap (peut-être pas le meilleur choix de musique pour ce qui est de l'objectif d'associer les gens du cru à la mobilisation), et puis tout le monde remonte dans les cars.

Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

L'ambiance sur la route du retour à Ibague est moins animée qu'à l'aller. Les étudiants sont fatigués et un peu déçus de ne pas avoir réussi à remplir l'objectif initial, mais la plupart a le sentiment que la journée n'a tout de même pas été tout à fait inutile.

Cajamarca, le 11 octobre 2009.
Photo : D. Fellous/Libre arbitre
Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

On pourra objecter qu'au final ce seront certainement des centaines de pousses d'arbres qui auront été plantées pour rien, qu'elles seront évidemment arrachées et détruites, et que si l'intention est bonne et le geste (même incomplet) est beau, le bilan écologique concret n'est pas forcément convaincant. Ce serait oublier l'impact médiatique d'une telle action, et son poids dans le processus de mobilisation de la population locale, partagée entre l'espoir des retombées économiques de l'exploitation minière et la crainte de voir son environnement contaminé.



Plus que des arbres, c'est peut-être le doute que les étudiants ont réussi à semer chez les habitants de Cajamarca...


Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre