mercredi 30 mars 2011

Des paysans déplacés accusent un partenaire de «Bio Suisse»

Article publié dans Le Courrier de Genève, Suisse, le 15 mars 2011

Expulsée de force, la communauté paysanne de Las Pavas tente de revenir sur ses terres, aux mains d’un consortium lié à Bio Suisse. Le label assure que ce partenaire a quitté la région.

Un peu plus de 100 familles ont décidé de récupérer dans les prochains jours les terres qui leur appartiennent depuis des générations. La petite communauté paysanne de Las Pavas (à peine 600 personnes), dans la commune du Peñon (département de Bolivar, au Nord de la Colombie) lutte depuis des années pour survivre. « Nous exerçons notre droit fondamental de revenir à nos champs, dont nous avons été dépossédés, comme la constitution et la loi nous en donnent le droit », indique une récente déclaration de l’Association des paysans de Las Pavas (ASOCAB).
 
Derrière cette décision, il y a une interminable histoire de dépossessions. Elle a débuté dans les années 1970, lorsque les paysans furent expulsés par des latinfundistes, de grands propriétaires terriens, qui vendirent leurs parcelles à Jesús Emilio Escobar, parent de Pablo Escobar, l’un des plus grands barons colombiens de la drogue. En 1997, Jesús Escobar abandonna la propriété, et la communauté regagna ses parcelles pour y cultiver du riz, du maïs, des bananes, etc. 6 ans plus tard, les paysans furent à nouveau expulsés par des groupes paramilitaires.

Depuis 2004, les familles revinrent petit à petit à Las Pavas et, en 2006, elles déposèrent une demande au Ministère de l’Agriculture pour faire reconnaître leurs droits de propriété. A ce moment, Escobar revint déloger les familles par la force, détruisit leurs récoltes et vendit le terrain au consortium El Labrador. Ce groupe, spécialisé dans la culture extensive de la palme, réunit les entreprises Aportes San Isidro SA et Tequendama (Daabon Organic). Néanmoins, en juillet 2009 les paysans qui avaient continué à cultiver une partie de leurs parcelles furent à nouveau expulsés par la police, une mesure que le Ministère de l’Agriculture lui-même considère comme illégale. « Nous ne prétendons pas envahir une propriété privée, ni commettre des actes violents ou illégaux », souligne le manifeste de l’ASOCAB. Ses porte-paroles insistent sur la profonde crise humanitaire subie par les paysans en raison du manque de nourriture. Et ils rendent responsables de cette situation les entreprises de palme, l’Etat et les groupes armées, « qui nient nos longues années de travail dans ces champs ».

« Bio » et expropriation ?

Le conflit de Las Pavas a des répercussions internationales, jusqu’en Europe. Plusieurs importateurs suisses qui collaborent et reçoivent le label de qualité « Bio suisse » achètent l’huile de palme entre autres à la Tenquendama colombienne. Face à la pression des ONG et des associations suisses qui travaillent pour la Colombie, le label « Bio suisse » a cherché à se dégager par un communiqué de presse (décembre 2010) : « Le groupe Daabon a mis fin à la culture d’huile de palme dans la région de Las Pavas ».
 
Une affirmation contestée par les ONG suisses. « Daabon Organic continue probablement à faire partie de ce consortium, mais en cachette », affirme Stephan Suhner, responsable du groupe de travail Suisse-Colombie qui coordonne la plateforme des ONG suisses présentes en Colombie et qui réunit une quinzaine d’associations d’aide au développement et de défense des droits humains. « Non seulement le nom de Daabon Organic apparaît dans des documents officiels, mais cette entreprise a été aussi accusée de faire pression sur les membres de la communauté de Las Pavas, par des menaces et des tentatives de corruption », affirme Suhner.

Un conflit emblématique

Pour Suhner, connaisseur de la Colombie, La Pavas est devenu « un cas emblématique, d’une profonde valeur symbolique et politique ». « Cela permettra d’évaluer le positionnement de l’INCODER (Institut colombien du développement rural), l’entité officielle chargée de régler la question des terres ». Une délégation vient de visiter Las Pavas, début mars, pour recevoir une information directe.
 
Le nouveau gouvernement colombien a reconnu que les victimes de la violence ont droit à la restitution de leurs terres. Différentes sources estiment que 4 millions de personnes – en majorité des paysans – sont des déplacés intérieurs, comme conséquence de plusieurs décennies de guerre. Les porte-parole officiels promettent de restituer chaque année, durant 10 ans, des terres à 100.000 familles. « Las Pavas est un exemple clair de la manière dont l’agro-commerce de la palme s’est étendu et comment les droits des paysans et à la souveraineté alimentaire ont été bafoués. Le président Santos est-il prêt à rectifier cette situation ? Est-il possible d’équilibrer les désirs et l’industrie agro-exportatrice et les revendications paysannes en faveur d’une réforme agraire ? », se demande le porte parole du groupe de travail Suisse-Colombie. Le conflit de Las Pavas permettra aussi « d’évaluer les marges réelles dont disposent les paysans – confrontés aux pénuries engendrées par la croissance de la crise environnementale et alimentaire et à des années de répression sanglantes – pour accélérer ce processus de récupération », ajoute-t-il. De plus, le cas de Las Pavas « peut permettre d’estimer la position du gouvernement suisse, que nous avons informé sur la situation de cette communauté menacée ».

La terre et le territoire sont des aspects fondamentaux d’une solution au conflit armé dans ce pays sud-américain. Le gouvernement suisse appuie le programme SUIPPCOL de promotion de la paix en Colombie. « Et il devrait donc aussi appuyer les restitutions des terres comme élément-clé de la paix », souligne Suhner. De manière tout aussi significative, « cela permettra d’analyser l’attitude générale des multinationales. Et plus particulièrement la cohérence du commerce ‘bio’. Nous verrons si celui-ci tolère pratiquement en son sein des entreprises comme Daabon qui sans aucun scrupule défend la possession de terres mal acquises et qui se consacre aussi à la production d’agro-combustibles », conclut Suhner.

Sergio Ferrari
Traduction: H.P. Renk
Collaboration E-CHANGER

Plus d'informations : 

http://retornoalaspavas.wordpress.com

samedi 26 mars 2011

Cérémonie d'offrandes pour les Droits de la Mère Nature

La 4e Rencontre Régionale des Peuples Autochtones (4° Encuentro Distrital de Pueblos Indigenas), Renace Bakatá (Bakatá renaît, Bakatá étant le nom du village Muisca qui se trouvait à l'emplacement sur lequel les Espagnols fondèrent Bogotá lors de la conquête), se déroule dans la capitale colombienne du 18 au 27 mars. 

Bogotá, le 25 mars 2011. Des milliers de personnes se sont rassemblées sur la Place Bolivar pour participer à une cérémonie d'offrande
aux éléments de la Mère Nature. Photo : D. Fellous/Libre arbitre.

Les peuples autochtones, originaires de la région ou déplacés par le conflit ou pour des raisons économiques, sont représentés à Bogotá par cinq cabildos (conseils municipaux) - Muiscas de Bosa et Suba, Ambiká Pijao, Kichwa et Inga - , par l'ASCAI (Association de Cabildos Indigenas), et par quatre organisations d'ordre national enregistrées auprès du Ministère de l'Intèrieur et de la Justice : l'ONIC (Organisation Nationale des Indigènes de Colombie), l'AICO (Association des Autorités Indigènes de Colombie), le CIT (Confédération Indigène Tayrona) et l'OPIAC (Organisation des Peuples Indigènes de l'Amazonie Colombienne). Par ailleurs, se développe dans la ville des processus d'organisation d'autres communautés indigènes, Nasa, Yanakona, Pasto, Misak, Waunan, Huitoto, Tubu, Wayuú, Arhuaco et Coreguaje, et l'on note aussi la présence de peuplements Embera Katio, Muinane et Kamentsa, entre autres.

Bogotá, le 25 mars 2011. Indien Arhuaco et passante sur la place Bolivar. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

L'objectif de cette rencontre est de favoriser les connexions entre ces différents peuples, leurs organisations representatives - reconnues ou non par le gouvernement - et les habitants de Bogotá en général, et ainsi de renforcer les identités propres, de confronter les réflexions et coordonner les actions, et enfin de donner une visibilité aux expressions culturelles, artistiques et traditionnelles des peuples indigènes installés à Bogotá.

Bogotá, le 25 mars 2011. Le Taïta (médecin traditionnel) Victor Jacanamijoy, une des principales autorités politique et spirituelle
du peuple Inga  à Bogotá (originaire du Putumayo, dans la partie amazonienne de la Colombie), fait passer un bol de chicha
(boisson à base de maïs fermenté) aux officiants qui l'accompagnent lors d'une cérémonie d'offrande à l'Eau pendant la 4e
Rencontre Régionale des Peuples Indigènes. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Dans le cadre de cette rencontre, et après plusieurs jours de discussions sur le territoire, l'autonomie, les politiques publiques et le gouvernement autochtone, les indiens ont investi pendant trois jours la Plaza Bolivar, la place centrale de Bogotá, pour établir une foire d'artisanat indigène, et surtout une grande cérémonie de Pagamiento (paiement, offrande) pour les Droits de la Mère Nature.

Bogotá, le 25 mars 2011. Fruits, graines, bougies, chocolat et plumes sont brulés en offrande aux quatre éléments.

 Un extrait vidéo de la cérémonie à l'Eau, dirigée par le Taïta Victor Jacanamijoy :


 (© D. Fellous/Libre arbitre)

Attirés par un concert réunissant plusieurs formations de musique traditionnelle andine ou amazonienne avec quelques groupes de rock, de rap et de reggae, des milliers de personnes ont assisté et participé aux rituels effectués  pour les quatre éléments aux quatre points cardinaux de la place par des shamans et des autorités spirituelles originaires de différents peuples indigènes.

Bogotá, le 25 mars 2011. Un membre de l'Ejercito de la Paz (l'Armée de la Paix), un groupe de semi-illuminés humanistes, profite de la
foule rassemblée pour le concert de soutien à la 4e Rencontre Régionale des Peuples Indigènes pour s'imaginer haranguer un large public.
Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Et pour conclure en musique, un petit extrait vidéo du concert :


 (© D. Fellous/Libre arbitre)

lundi 14 mars 2011

Une contribution du sous-commandant Marcos

On a moins souvent de ses nouvelles, mais on aurait tort de croire que le sous-commandant Marcos n'a plus rien à dire d'intéressant. Certes, il s'agit du Mexique et non de la Colombie, mais les deux pays ont quelques similitudes, et l'on dit d'ailleurs qu'une partie des maux de la seconde se déplacent actuellement vers le premier. De toutes façons, le texte du porte-voix de la rebellion zapatiste, ne traite ni d'un pays ni de l'autre mais d'un sujet bien plus large, les guerres, et son propos est de nature à faire réflechir à diverses situations, avec comme à son habitude un humour tendre et féroce qui ne gâche en rien le plaisir. Bonne lecture.

(pdf en espagnol, hebergé par Rebelion.org)

Bogotá, le 25 février 2011. Tatouage du sous-commandant Marcos, de l'EZLN (Armée Zapatiste de Libération Nationale, Mexique),
avec la légende "milicien anonyme" sur le bras d'un manifestant colombien contre l'exploitation aurifère.
Photo : D. Fellous/Libre arbitre

mercredi 2 mars 2011

Un geste vraiment pas chouette !

Dimanche, lors d'un match de football du championnat colombien opposant à Barranquilla opposant l'Atletico Junior à domicile contre le Deportivo Pereira, une chouette (on dirait une grande effraie, du haut de mes faibles connaissances ornithologiques) a eu la malchance d'être heurtée par le ballon alors qu'elle survolait le terrain pendant a rencontre. De fait, l'animal avait élu depuis longtemps son domicile dans le stade, et se trouvait être la mascotte de l'équipe, et des hinchas (supporters)  de l'Atletico. Étourdi par le choc, l'oiseau est tombé sur la pelouse, provoquant un arrêt momentané du jeu.

Parc Tayrona, le 16 avril 2009. Match de football au Cabo de San Juan. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

C'est alors qu'un des défenseurs du Deportivo Pereira, le panaméen Luis Moreno, ignorant visiblement le statut qu'elle avait pour l'équipe adverse et faisant preuve d'une cruauté que l'impatience excuse bien peu, a cru bon d'expulser la pauvre chouette hors du terrain d'un vigoureux coup de pied, à la manière d'un joueur de rugby transformant l'essai ! Le stade s'est tout de suite enflammé et le joueur à échappé de peu au lynchage, et le lendemain à l'aube des policiers lui signifiaient à son hôtel l'ouverture d'une enquête pour mauvais traitements sur un animal protégé, un délit susceptible de le mener en prison pour 45 jours. La chouette, une aile brisée par le choc, a été transporté vers une clinique vétérinaire, dans une confusion et une agitation extrême qui n'ont fait qu'ajouter au stress de l'animal, le mettant dans un un état de choc qui a causé une surproduction d'acide lactique qui finit par l'achever la nuit suivante. 


(Images : RCN Noticias)

On déplorera que les actes de cruautés subies par les milliers de victimes du conflit intérieur colombien ne suscitent pas la même ferveur indignée de la part de leurs compatriotes que celui infligé à cette chouette par un joueur de football stupide et violent, il n'en reste pas moins que les images capturées ce soir-là par le caméraman de RCN et retransmises par toutes les chaines nationales, ne peuvent que générer l'incompréhension chez tous ceux qui les voient (pour ceux qui ne comprendraient pas l'espagnol, il nous faut souligner la déclaration savoureuse du joueur incriminé aux journalistes après la fin du match où il affirme qu'il avait seulement voulu "aider la chouette à prendre de l'altitude pour qu'elle puisse s'envoler"...) :

 
 (Images : Noticias Caracol) 


L'Atletico Junior l'a emporté sur le Deportivo Pereira avec un score final de 2 à 1.