Le 12 octobre dernier, pour le 516e anniversaire de la conquête espagnole (ou de l'invasion, comme l'appelle les peuples autochtones), des milliers d'indiens se sont réunis à La Maria Piendamo, dans le Cauca et ont bloqué le trafic routier sur la Panaméricaine, le principal axe routier du pays.
Pendant près de deux semaines, protestant contre la multiplication des assassinats impunis de leaders indigènes (plus de 1200 morts en 6 ans !), armés de pierres et des bâtons de la garde indigène du CRIC (le Conseil Régional des Indigènes du Cauca), ils ont tenus les barrages contre les assauts de la police anti-émeute, appuyée par des unités de l'armée qui n'ont pas hésité à ouvrir le feu lors des affrontements, causant la mort de trois indiens.
Chicoral, le 13 novembre 2008. La garde Indigène. Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
Niant les faits jusqu'à ce qu'une vidéo diffusée sur CNN l'oblige à admettre l'usage d'armes de guerre contre les manifestants, le président Alvaro Uribe avait d'abord affirmé que les victimes avaient été tuées par la guérilla tirant depuis les montagnes, sans craindre d'ailleurs de se contredire puisqu'il n'a pas cessé de prétendre que des éléments des FARC infiltraient les indiens. Et qu'il a peut-être tenté de le démontrer par une petite manipulation déjouée au dernier moment par les gardes du CRIC, qui ont intercepté un jeune indien, membre de l'armée en civil, tentant de se glisser dans le campement avec un sac contenant des uniformes et des grenades, sans doute pour les y cacher et pouvoir les "découvrir" plus tard...
Finalement obligés de se replier face à la brutalité de la répression, environ 30.000 indiens descendent de toutes les communautés de la région et se rendent à pied à Cali, pour y rencontrer le Président Alvaro Uribe. Le 2 novembre, cette rencontre tourne à la farce et après avoir attendu plusieurs heures sous un pont un président qui se faisait délibérément attendre, les indiens ont levé le camp quand il est finalement apparu, répondant à son retard par la bravade. Suite à cet échec, les organisations indigènes avaient annoncé le lendemain que puisque leur parole n'avait pas été entendue, ils allaient la faire cheminer (caminar la palabra) à travers tout le pays, et que des milliers de familles allaient la porter jusqu'à Bogotá. (Lire le communiqué de l'ONIC, Organisation Nationale des Indigènes de Colombie, en espagnol).
Chicoral, le 13 novembre 2008. La Minga Indigena arrive en ville, en provenance d'Ibague. Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
Chicoral, le 13 novembre 2008. La Minga Indigena. Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
Convoi hétéroclite de camions, voitures et chivas (des bus/camions multicolores, larges et bas, contenant plus d'une centaine de passagers, sur une dizaine de rangées d'étroits bancs et sur le toit, caractéristiques de la zone andine, et particulièrement du Cauca), la Minga vient d'arriver à Chicoral, dans le Tolima, après un face à face tendu devant Ibagué, la capitale régionale, avec la police qui lui refusait la traversée de la ville. Ici-même, hier, des voitures de la mairie ont sillonné les rues de la ville avec des haut-parleurs pour avertir la population de l'arrivée de la Minga et l'inciter à rester cloitrée chez elle, en raisons de supposés risques de saccage et de pillage.
Chicoral, le 13 novembre 2008. La police guide les mingeros jusqu'à un terrain bordant une décharge. Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
D'abord dirigés par les autorités locales et les policiers qui encadrent la caravane vers un terrain insalubre pour y installer le campement, les participants à la Minga protestaient et la situation était assez tendue, lorsqu'un des dirigeants indigènes et un commandant de la police de la route, visiblement décidés à apaiser les esprits qui s'échauffaient, se sont lancés le défi mutuel de sauter dans la rivière qui passait en contrebas. Et tous de parier sur qui toucherait l'eau le premier...
Chicoral, le 13 novembre 2008. Les participants de la Minga se plaignent auprès d'un officier de police contre le lieu qui leur est proposé pour camper. Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
Après cette diversion, des militants locaux arrivaient à point nommé avec une solution de rechange et la Minga s'ébranlait de nouveau jusqu'à un vaste pré en jachère aux abords de la ville, plus apte à héberger les milliers de mingueros fatigués par une longue journée de route.
Chicoral, le 13 novembre 2008. Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
Là, enfin, autour des chivas, les campements peuvent s'étaler. La garde indigène prend place tout autour du périmètre et contrôle l'accès des habitants de Chicoral, venus en sympathisants ou en curieux, pour éviter toute provocation. Des bâches accolées aux véhicules forment de vastes tentes, mais certains ont apporté des abris individuels.
Chicoral, le 13 novembre 2008. La Minga Indigena fait étape. Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
Partout de petites cuisines s'installent, on décharge du bois des camions, des foyers s'allument, une sono sur le toit d'un camion crache du Vallenato à plein régime et déjà un bal s'improvise, pendant que des nuées d'enfants se détendent les jambes en courant découvrir les limites de leur terrain de jeux d'un jour. Et en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, c'est toute une ville qui s'est dressée dans ce champ.
Chicoral, le 13 novembre 2008. La Minga Indigena fait étape. Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
Prévoir en quelques jours la logistique nécessaire à transporter, nourrir et abriter 20.000 personnes sur plusieurs semaines de voyage, qui osera dire que les indigènes ne sont pas organisés ?
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