mercredi 19 octobre 2011

Campo Rubiales : Les damnés du pétrole

Du 10 au 14 octobre se déroulait dans le département du Meta une caravane itinérante dont l'objectif était d'atteindre Campo Rubiales et Campo Quifa et les installations pétrolières de l'entreprise canadienne Pacific Rubiales Energy pour aller à la rencontre des travailleurs. Mobilisés depuis juin dernier, ils dénoncent la précarité de leur embauche mais aussi leurs conditions de vie dans les camps de travail de l'entreprise. Quant aux communautés alentours, la richesse de leur terre leur échappe en dépit de leur proximité avec des exploitations générant près de 25 % de la production nationale de pétrole.

L’action a associé plus d’une cinquantaine d’organisations sociales nationales et internationales. Elle a aussi permis l’entrée dans la zone des représentants nationaux et départementaux de l’Union Syndicale Ouvrière de l’industrie pétrolière (USO) et de la Confédération Unie des Travailleurs (CUT) alors que le droit syndical y est particulièrement bafoué. Campo Rubiales et Campo Quifa sont situés au cœur du Meta, dans une zone particulièrement isolée. La superficie totale de ces deux zones avoisine les 1 900 km2. À Campo Rubiales, 14 000 travailleurs sont dispersés sur les différents sites d’exploitation. En dépit de la présence de villages de colons et de communautés autochtones, la zone est fermée et l’accès par la route est strictement contrôlée par un personnel privé. Une autorisation délivrée par Pacific Rubiales ou ses entreprises sous-traitantes est nécessaire et l’on prend les empreintes et les photos de chaque entrant, qu’il soit travailleur ou habitant. L’entrée de la caravane dans la zone voulait aussi signifier un acte symbolique de récupération de la souveraineté nationale sur ces territoires laissés au contrôle de la multinationale.





Le mouvement a commencé fin juin et les moments forts en ont été la déclaration de grève et d’assemblée permanente du 18 juillet puis une nouvelle entrée en grève du site de Campo Rubiales le 20 septembre. En plus d'une demande de hausse des salaires, il s’attache à dénoncer le mode d’embauche. La mise sous contrat des travailleurs s’appuie sur un système d’entreprises sous-traitantes permettant d’amplifier la flexibilisation que le droit du travail colombien connaît déjà depuis l’importation des thèses néolibérales dans le pays au début des années 1990. Les contrats de travail sont de 28 jours et comprennent trois semaines continues de travail pour une semaine de repos en dehors du site. En sortant du site, les travailleurs ne savent jamais s’ils pourront obtenir un nouveau contrat. Cette flexibilisation des conditions de travail soumet les travailleurs à une pression permanente, alors que nombreux sont ceux qui enchaînent les contrats mensuels et les mois de travail sur le site. Elle permet aussi de contrôler toute contestation, le contrat n’étant pas renouvelé quand le travailleur énonce son désaccord. Lors de la caravane, nous avons d’ailleurs pu noter que la peur de perdre son emploi était permanente pour ces ouvriers, notamment chez les transporteurs qui, quand nous les avons visités, témoignaient volontiers mais refusaient toute prise d’enregistrement. Les manifestations de solidarité se sont d’ailleurs succédées tout au long de la semaine. Et l’adhésion à l’USO n’en est pas moins importante, le syndicat revendiquant plus de 5 000 adhérents pendant les grèves, des centaines d’autres ayant pris leur carte au moment de la caravane. Mais l’exercice syndical est profondément limité. Quand l’un de ces adhérents est repéré, son contrat n’est pas reconduit le mois suivant. Ainsi, de façon plus générale, Pacific Rubiales et entreprises sous-traitantes ont activement entravé les mobilisations en ne reconduisant pas les contrats de plus de 4 000 des employés présents pendant les grèves.

L’autre thème central de la mobilisation concerne les conditions de vie de ces travailleurs, littéralement parqués dans des campements où la promiscuité est permanente, les sanitaires souvent défaillants et la nourriture parfois avariés. Après de longues journées de travail, le plus souvent supérieures à douze heures continues, les ouvriers ne disposent d’aucun espace décent de repos et de distraction. Les dortoirs sont installés sous d’immenses tentes sans espace privé, dans des containers inhospitaliers ou dans des pièces sans fenêtres de moins de 15 m2 où quatre lits occupent tout l’espace.

Enfin, dernières observations et non des moindres, les habitants présents sur les zones d’exploitation, qui souvent travaillent aussi pour Pacific Rubiales, vivent dans une pauvreté extrême, dans des maisons aux murs de plastique ou aux planches récupérées et dont le sol est de terre (voir reportage photos). L’accès à l’eau est des plus précaires et génère des problèmes sanitaires et l’électricité souvent absente ou produite grâce à un groupe électrogène individuel, quand, dans l’installation pétrolière voisine, les éclairages fonctionnent à plein régime. La situation certainement la plus dramatique est celles de ces communautés autochtones. Les conditions de vie y sont encore plus précaires, les enfants souffrant de malnutrition et du lot de maladies qui y est associé, tandis que l’acculturation gagne chaque jour plus de terrain dans des communautés plongées dans l’apathie.

Bref, l’existence d’une extrême pauvreté à quelques centaines de mètres d’installations ultramodernes a de quoi choquer. La dénonciation peut paraître ici bien classique, une multinationale qui exploite les richesses d’un pays en bafouant le droit du travail et en ignorant les populations locales. Elle n’en est pas moins bien réelle et actuelle.

À son entrée en fonction en 2010, le président Juan-Manuel Santos avait annoncé axer sa politique de développement sur l’exploitation des ressources minéro-énergétiques. Un système de rente pétrolière est initialement prévu pour permettre la redistribution dans les municipalités d’une partie de l’exploitation. Or, le clientélisme est encore très fort en Colombie, d’autant plus dans un département comme le Meta, connu pour avoir été l’une des bases fortes du paramilitarisme. Comme nous avons pu le noter lors de la visite dans les villages, les populations locales vivent encore sous un régime de peur. Elles ne touchent concrètement aucun pourcentage de la rente pétrolière, quand elles ne sont pas menacées pour avoir osé la réclamer. Ainsi, les richesses de la terre continuent-elles à s’évader de leur région, et plus largement de Colombie.


Pour plus d'information (en espagnol), voir le site de l'USO et la déclaration produite à la fin de la caravane
Voir aussi l'interview de l'un des ouvriers licenciés, Edwin Sánchez.

Et les articles suivants :
La Caravana Humanitaria y Laboral finaliza su jornada en Campo Rubiales reunida con los trabajadores en el lugar donde tienen sus carpas.

Alrededor de 200 personas de la Caravana Humanitaria llegan a la vereda el Puerto Triunfo, donde está el pozo Quifa que explota la Pacific Rubiales hace 13 años

Hoy arranca una caravana humanitaria en solidaridad con las reivindicaciones laborales y sociales en los pozos petroleros de Puerto Gaitán (Meta)

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