Les procès liés au scandale de la Farcpolitique (1), qui touchent notamment l'ex-sénatrice du Parti Libéral Piedad Cordoba, viennent de connaitre un sérieux coup d'arrêt avec la décision prise hier par la Cour Suprême de Justice de ne pas reconnaitre les preuves issues des ordinateurs de Raúl Reyes.
En effet, lors de l'enquête visant Wilson Borja, un membre du Polo Democrático Alternativo (Pôle Démocratique Alternatif, gauche plurielle), les juges de la plus haute instance pénale du pays ont estimé après plusieurs jours de délibération que les pièces à conviction obtenues en mars 2008 dans le campement des FARC après le bombardement qui couta la vie à son dirigeant n'étaient pas recevable par un tribunal pour plusieurs raisons juridiques. La principale étant que ces "preuves illicites" ont été recueillies illégalement par des militaires, et non par des officiers de police judiciaire dument accrédités. Par ailleurs, la Cour Suprême rappelle que cette opération militaire elle-même était illégale, le bombardement ayant eu lieu en territoire équatorien, sans autorisation préalable des autorités de Quito, "violant un accord signé entre les deux pays".
Sans compter, ajoutent les magistrats, que "pas une autorité colombienne n'a soutenu, approuvé ou corroboré le contenu des courriers au cours du procès", propos visant implicitement l'ex-président de la République Álvaro Uribe Vélez, et le directeur de la Police Óscar Naranjo, interrogés par les juges durant la procédure, et qui n'ont jamais fourni de documents validant ces preuves. Enfin, il est souligné que les soit-disants liens entre Wilson Borja et les FARC ne sont établis que sur des documents Word et pas dans des emails, ce qui ne permet pas de démontrer qu'ils ont été envoyés ni reçus...
Bogotá, le 11 janvier 2009. "Nous, les Hommes, sommes prisonniers de nos propres inventions. Dieu bénisse le donateur joyeux." Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
Voilà qui interrompt sans doute définitivement toute une série de procès annoncés et principalement basés sur les fameuses révélations extraites des ordinateurs du chef guérillero. Des révélations qui n'ont cessé d'apparaitre au compte-gouttes depuis trois ans, impliquant nombre de figures de l'opposition, parlementaires, mais aussi journalistes ou professeurs universitaires, et jusqu'aux gouvernements voisin d'Équateur et du Vénézuela, accusés au choix de financer les FARC ou d'être financés par elles (voir l'article du Monde.fr à ce sujet). Au point que le PC de Raúl Reyes était parfois ironiquement surnommé "la lampe d'Aladin" par les sceptiques soupçonnant les autorités colombiennes de créer des fausses preuves au gré de leurs besoins politiques du moment. Le jugement de la Cour Suprême critique d'ailleurs les fuites de documents et les campagnes médiatiques qui ont eu lieu autour de l'enquête.
Si les révélations sur la complicité présumée de Rafael Correa et Hugo Chavez, les présidents équatorien et vénézuélien, avec la guérilla d'extrême-gauche, avaient durablement brouillé les relations entre ces deux pays et la Colombie pendant la fin du mandat d'Álvaro Uribe, elles prenaient moins d'importance depuis l'arrivée au pouvoir de Juan-Manuel Santos. Celui-ci a en effet préféré oublier ces accusations, renouer des relations diplomatiques cordiales avec ses voisins, et surtout réamorcer les échanges économiques qui avaient sérieusement pâtis de la dispute. Néanmoins, la publication le 10 mai 2011 d'un rapport par l'IISS (l'Institut International d'Études Stratégiques, basé à Londres) sur "Les dossiers des FARC : Vénézuela, Équateur et les Archives Secrètes de Raúl Reyes", immédiatement rejeté à Caracas comme à Quito comme étant une grossière propagande, venait de remettre la polémique au goût du jour , en affirmant notamment que les services secrets vénézueliens avaient fait appel à la guérilla colombienne pour supprimer des opposants politiques.
Barranquilla, le 21 février 2009. Participants au Carnaval déguisés en Raúl Reyes (à gauche), et Hugo Chavez. Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
Le jugement de la Cour Suprême, s'il ne se prononce pas sur le fond de la réalité ou non des supposées relations des FARC avec les gouvernements voisins ou avec des membres de la classe politique colombienne, invalide en tout cas la portée légale et judiciaire de ces accusations. Le premier bénéficiaire de ce coup de théatre est bien sûr Wilson Borja, qui était cité 45 fois dans les fameux courriers. L'ex-parlementaire, qui avait été délégué par du gouvernement Pastrana dans les négociations avec l'ELN, un autre mouvement de guérilla colombien, a annoncé qu'il allait engager des poursuites contre Álvaro Uribe et le procureur général Mario Iguarán, estimant que ces accusations l'ont pénalisé notamment pour ce qui est de la perte de son poste de congressiste et dans ses chances de faire partie de la liste des trois remplaçants possibles de Samuel Moreno, suspendu du poste de maire de Bogotá il y a 2 semaines.
De son côté, Piedad Cordoba, dont la médiation avec les FARC a permis la libération de 17 otages depuis 2007, avait été destituée par le procureur général en novembre dernier de son poste de sénatrice du Parti Libéral et déclarée inéligible pour une durée de 18 ans, accusée d'apparaitre sous le nom de 'Teodora' dans des dossiers compromettants eux aussi tirés des ordinateurs de Raúl Reyes. Même si le jugement d'hier ne s'applique qu'au cas spécifique de Wilson Borja, l'ex-sénatrice veut y voir l'assurance qu'elle obtiendra l'annulation de la décision la concernant, et elle déclarait déjà dans la soirée d'hier sur son compte Twitter :
"Si la Cour Suprême dit que les preuves avec lesquelles on m'a destitué sont illégales, que pensez vous qu'il se passera ?"
Bogotá, le 28 juin 2009. La sénatrice Piedad Cordoba et des membres du Parti Libéral participent à la Gay Pride sur la Septima. Photo : D. Fellous/Libre arbitre |
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(1) La Farcpolitica est le nom générique donné aux liens présumés entre des hommes et femmes politiques et la guérilla marxiste des FARC, nom attribué en référence à celui de la Parapolitica, qui désigne elle les liens avec les paramilitaires d'extrême-droite, dans lequel plus de 60 congressistes ont été impliqués.
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