dimanche 11 octobre 2009

Des arbres contre la mine d'or


Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre


Les étudiants de l'université d'Ibague, dans le Tolima, ont eu une idée originale pour manifester leur opposition au projet de mine d'or de la Colosa, sur une concession attribuée à la AngloGold Ashanti.  


Ibague, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre
 Partis le matin de la capitale régionale dans une demi-douzaine d'autocars loués pour l'occasion, un peu plus de deux cent étudiants et militants écologistes d'Ibague rallient la petite ville de Cajamarca, située près de la zone aurifère, et où la compagnie sud-africaine a établi un bureau chargé de superviser le projet d'exploitation. D'après le gouvernement colombien et la communication de l'entreprise elle-même, il s'agirait d'un des plus importants gisements au monde.  Autant dire qu'il y a là des enjeux financiers considérables. Derrière les bus  ornés de banderoles représentant montagnes, fleuves et animaux, suivent deux camions chargés à bloc de petits baliveaux destinés à être plantés sur le terrain de la future mine. 

Le projet peut paraître dérisoire, voire utopique. Des arbres contre la mine. Imaginer protéger des grenouilles contre la logique économique mondiale avec de fragiles brindilles.  Une lutte perdue d'avance digne d'une production Walt Disney, le happy end en moins. Mais le geste est symbolique. Semer la vie là-même où l'on prévoit de violer la terre et de la rendre infertile à jamais. Une reforestation préventive en quelque sorte...


Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Arrivés aux abords de Cajamarca, les étudiants descendent des bus et déploient leurs banderoles, en se réjouissant de ce que la pluie qui tombait depuis le matin se soit arrêtée avec tant d'à-propos pour une belle entrée en cortège dans la ville. La bourgade, d'un peu moins de 10.000 habitants, avait eu les honneurs de la presse nationale en 2004, quand des soldats y avaient massacré une famille de cinq personnes, parmi lesquelles un bébé de six mois, qu'ils auraient soit-disant confondu avec des guérilleros des FARC. Épargnés par la justice militaire, sept militaires avaient néanmoins été inculpés l'année suivante par le Procureur général de la Nation des charges d'homicide sur personnes protégées, des preuves ayant été rassemblées que les victimes avaient été abattues à courte distance.

Cajamarca, le 11 octobre 2009. "Seulement après que... le dernier arbre soit coupé, le dernier fleuve empoisonné,
le dernier poisson attrapé, alors seulement tu sauras que l'argent ne peut pas se manger. Proverbe indien."
Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Devant le pont qui sert d'accès à Cajamarca, les manifestants sont rejoints par un petit groupe de militants locaux de la CUT (Centrale Unitaire des Travailleurs, le principal syndicat interprofessionnel colombien) et d'ANTHOC (syndicat des fonctionnaires de la Santé et de la Sécurité Sociale). Si leurs slogans sur la dégradation des hôpitaux publics paraissent un peu éloignés du thème du jour, cette convergence des luttes est tout de même jugée bienvenue par les défenseurs de l'environnement qui veulent y voir un bon augure et ce renfort inattendu est accueilli avec force applaudissements. 

Cajamarca, le 11 octobre 2009. "Plus de promenades de la mort. Défendons les hôpitaux publics".
Photo : D. Fellous/Libre arbitre

À la sortie du pont, l'accueil est plutôt froid. Il faut dire que le premier bâtiment de la ville est un bunker, peint couleur camouflage, suivi de la base militaire de Cajamarca, dans le même habit.  Et des deux côtés de la rue, le personnel de ladite base s'est déployé, armes à la main, formant une haie d'honneur entre lesquels défilent les manifestants, qui ont cessé les slogans et dont les visages se sont subitement fermés. Ambiance. 

Cajamarca, le 11 octobre 2009. "Plus de promenades de la mort. Défendons les hôpitaux publics".
Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Une fois tout le monde passé, coup de jarnac, la police installe un barrage sur le pont et bloque les camions de l'autre côté de la rivière. Sans arbres à planter, il ne reste plus aux étudiants qu'à manifester à travers la ville et à improviser des discussions avec la population locale, peu informée des tenants et des aboutissants du projet, pour tenter de la rallier à leur cause. 

Cajamarca, le 11 octobre 2009. ESMAD (police anti-émeute). Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Au bout de quelques heures, alors que l'abattement menace de vaincre le bel enthousiasme qui a animé la matinée, un des deux chauffeurs, par une habile manœuvre, réussit à contourner le dispositif policier et à rejoindre les manifestants. 

Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

L'explosion de joie qui accompagne l'arrivée du camion plein de jeunes plants est cependant modérée du fait que le retard pris sur le planning rend hasardeuse la poursuite de l'opération prévue initialement. L'heure avance, et il y a la question du retour à Ibague avec les bus loués et les chauffeurs qui attendent. 

Cajamarca, le 11 octobre 2009. Des ESMAD (police anti-émeute) en pause déjeuner.Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Et puis, même si personne n'évoque directement le problème en ces termes, il y a pas mal de policiers et d'ESMAD (police anti-émeute, célèbre pour sa brutalité) dans la ville, et même si ils ont l'air plutôt détendus pour le moment, il parait peu probable qu'ils laissent le groupe entrer en effraction sur la concession sans réagir. 

Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

l'AngloGold Ashanti où une partie des arbustes sont repiqués dans un joyeux désordre. 

Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Cajamarca, le 11 octobre 2009.
Photo : D. Fellous/Libre arbitre
On voit bien que certains étudiants ici ont plus l'habitude de planter des théories que des  végétaux, mais la bonne volonté suppléant à l'expérience, le terrain se trouve quand même rapidement foré de centaines de petits trous dans lesquels sont déposés différentes espèces d'arbrisseaux. Enfin, pelles et binettes sont rangées dans le camion, et un rassemblement sur la place principale de Cajamarca vient clôturer la journée.

Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Quelques brefs discours et un mini concert de rap (peut-être pas le meilleur choix de musique pour ce qui est de l'objectif d'associer les gens du cru à la mobilisation), et puis tout le monde remonte dans les cars.

Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

L'ambiance sur la route du retour à Ibague est moins animée qu'à l'aller. Les étudiants sont fatigués et un peu déçus de ne pas avoir réussi à remplir l'objectif initial, mais la plupart a le sentiment que la journée n'a tout de même pas été tout à fait inutile.

Cajamarca, le 11 octobre 2009.
Photo : D. Fellous/Libre arbitre
Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

On pourra objecter qu'au final ce seront certainement des centaines de pousses d'arbres qui auront été plantées pour rien, qu'elles seront évidemment arrachées et détruites, et que si l'intention est bonne et le geste (même incomplet) est beau, le bilan écologique concret n'est pas forcément convaincant. Ce serait oublier l'impact médiatique d'une telle action, et son poids dans le processus de mobilisation de la population locale, partagée entre l'espoir des retombées économiques de l'exploitation minière et la crainte de voir son environnement contaminé.



Plus que des arbres, c'est peut-être le doute que les étudiants ont réussi à semer chez les habitants de Cajamarca...


Cajamarca, le 11 octobre 2009. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

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